Le sanctuaire des martyrs (op. 90, 1988)
Oratorio (texte conçu par Paul-Werner Scheele)
S.D.G.
soprano, alto, ténor, baryton, basse, narrateur, chœur mixte, chœur de garçons, 3 orgues, ensemble de percussions, grand orchestre
Durée: 130 minutes
Barbara Schlick (soprano), Lioba Braun (alto), Clemens Bieber (ténor), Martin Hummel (baryton), David Midboe (basse), Stephan Rehm (narrateur), Würzburger Domchor mit Mädchenkantorei, Domsingknaben (direction : Franz J. Stoiber), orchestre de la cathédrale, ensemble de percussions (direction : Christoph Weinhart), Paul Damjakob (grand orgue), Gregor Frede (orgue de chœur), Michael Hanf (orgue dans l'orchestre), direction générale : Siegfried Koesler
Titre : "Le sanctuaire des martyrs".
Volume : 362 pages
Datation : I. N°2 6.4.88 II. - III. N° 14 18.9.88 / N° 15 20.7.88 IV. No.17 8.10.88 / No.18 14.oct.88 / No.20 20.10.88 V. No.24 16.Nov.88 / No.25 17.Nov.88 / No.26 19.11.88 / No.27 27.11.88 VI. No.28 13.12.88 / No.29 22.12.88 / No.30 29.12.88 / No.32 2.1.89 / No.33 12.1.89 VII. No.36 4.2.89 / No.37 17.2.89 VIII. N° 41 3.3.89 / N° 42 3.4.89 D.S.G.
Lieu de conservation : Bayerische Staatsbibliothek, Munich
Schott Music ED 20290 / ISMN : M-001-14995-2 (partition et réduction pour piano disponibles à la vente)
op. 90-42, Psaume 150
L'oratorio du siècle dans la cathédrale de Würzburg
Le sanctuaire des martyrs" de Bertold Hummel a été créé avec un grand succès.
On peut presque dire que depuis presque deux cents ans, l'histoire de la musique peut certes parler d'œuvres chorales à contenu spirituel, y compris avec des textes de l'Écriture, etc., d'œuvres qui portent également le nom d'oratorio, mais souvent uniquement du point de vue de la conception formelle, de sorte que l'on parle également d'oratorio profane, ce qui est en fait un non-sens, même si Haydn écrit dans ses Saisons de grands passages de remerciements et d'amen, mais pas de véritables oratorios. Il n'est pas question ici d'examiner pourquoi il en est ainsi. L'idée s'impose toutefois lorsque l'on est confronté à un véritable oratorio, comme l'est cette œuvre "Der Schrein der Märtyrer" de Bertold Hummel.
Les musiciens d'église connaissent bien le compositeur Hummel, car son nom, du moins, même s'ils n'ont peut-être encore rien chanté ou joué de lui, apparaît constamment dans les publications récentes de musique de culte. Et un bon organiste pourra non seulement confronter sa paroisse à la musique d'orgue contemporaine avec son "Alleluja" devenu entre-temps célèbre, mais peut-être aussi la gagner, car le fameux Alleluja de Pâques est présent en permanence de manière bien audible.
Hummel sait ce qu'est réellement et originellement un oratorio. Il a été musicien d'église pratiquant pendant de nombreuses années et il ne confond pas la notion de salle de prière, d '"oratorio", avec celle de salle de concert. Il sait comment traiter musicalement les textes bibliques, légendaires et irrévocables de la doctrine chrétienne du salut à la fin du deuxième millénaire de l'ère chrétienne, en intégrant la tradition et en tenant compte du présent, et il doit manifestement le faire en fonction de la force d'expression du texte, car ce qui a été entendu est tout simplement convaincant et impératif.
Le texte a été conçu par l'évêque Paul-Werner Scheele, en collaboration avec le compositeur, comme c'était et est toujours le cas pour toutes les grandes œuvres vocales. Le tout est une commande de l'évêque de Würzburg, le diocèse des apôtres francs, à l'occasion du martyre des saints Kilian, Kolonat et Totnan il y a 1300 ans.
Selon les mots de l'évêque Scheele dans le programme remarquablement présenté, l'œuvre " partage le sens et l'objectif, la thématique et la structure avec la châsse de Kilian de H. G. Bücker, qui se trouve depuis 1978 dans la crypte ouest de l'église Neumünster". Les pages concernées de la châsse, qui ont inspiré le contenu et le message du texte, sont également présentées en images aux endroits correspondants dans le programme. Dans le texte lui-même, on trouve des extraits de la très ancienne "Lorica Patricks" irlandaise, des événements bibliques et des textes du Nouveau Testament, ainsi que des textes médiévaux, des hymnes, des séquences et d'autres poèmes spirituels.
L'instrumentation pour cette œuvre, l'op. 90 de Bertold Hummel, étonne au premier abord. Cinq chanteurs solistes, un récitant, un grand chœur, un chœur de filles, un chœur de garçons, un orchestre, un ensemble de percussions dans l'orchestre et sur la tribune près du grand orgue, un orgue de chœur, un orgue dans l'orchestre. Mais l'œuvre a été écrite pour la cathédrale Kilian de Würzburg, où ces possibilités sont offertes.
L'interaction entre l'espace et l'œuvre n'est pas un phénomène nouveau. La musique d'orgue française en est un bon exemple, même si l'orgue lui-même n'est pas en reste. Pour une représentation dans une autre église, le compositeur ferait certainement des adaptations.
Peut-être que cela nous mène un peu loin, mais il me semble que l'œuvre est si importante qu'il est justifié de mentionner les différents éléments de composition et les pratiques qui reflètent toute la musique de l'Occident chrétien.
Un hommage est rendu à la Trinité après un texte parlé de la Lorica de Patrick, à l'orgue et aux percussions, et l'auditeur est projeté au cœur de la musique de notre époque. Il en est ensuite sorti par une strophe trinitaire monumentale, conçue à l'unisson dans un ductus archaïque, tirée d'un hymne des vêpres pour la fête de Kilian.
Lors de la vocation des premiers disciples avec le texte de Marc (Mc 1,16-18) de la vocation de Simon et André, l'évangéliste (baryton) est introduit, en récitatif devant un orchestre transparent, les éléments de récitatif étant enrichis de grands mélismes exigeants. La parole de Pierre tirée de sa première lettre sur le sacerdoce royal (1 P 2,9) rappelle un accompagnement classique. Le chœur répond par "Dominus fecit nos regnum" (0ff 1,6) sur un mouvement mystérieusement retenu de la plus fine polyphonie.
Lors de l'appel des apôtres francs, Kilian (ténor) est introduit par une magnifique cantilène. Les textes suivants sont tirés de Luc et parlent de la succession, ce qui culmine finalement dans un texte anonyme du 12ème siècle avec une merveilleuse description de la nature et de la vie de l'omniprésence du Christ, un chœur de femmes d'une grande grâce avec la soprano solo qui domine tout dans un son global fascinant.
Dans la troisième partie "Tempête marine" , on pense à une description de la nature de l'époque baroque ou du début de l'époque classique, même si elle est accompagnée de deux orgues et d'instruments de percussion, vraiment menaçante, avant que l'évangéliste ne rappelle dans le récitatif la péricope de la tempête marine (Mc 4,37-40).
Une partie tout à fait centrale de l'ensemble est le Sermon sur la montagne, où l'annonce de l'évangéliste "et aperiens os suum dicens" (Mt 5,1 et s) est déjà tout simplement à fleur de peau. Les huit béatitudes suivantes sont réparties sur les formations solistes et chorales les plus diverses, le solo d'alto et le chœur d'hommes pour les Béatitudes au cœur pur faisant par exemple penser, par leur combinaison sonore, à quelque chose d'irrémédiablement beau comme l'Altrhapsodie de Brahms.
Lors de la description de l'engagement missionnaire des apôtres francs, la voix du duc (basse) attire l'attention lorsqu'il demande à Dieu de transformer son cœur, alors que l'instrumentarium et la diction musicale font apparaître le prince séculier comme "séculier" sur le plan musical.
Le complément de la prière du grand prêtre (Jn 17,1) dans le texte de l'épître aux Ephésiens "Unum corpus et unus Spiritus" pour alto solo et bois est particulier par sa sonorité et sa transparence musicale et interprété de la même manière. Ici aussi, comme souvent dans cet oratorio, une vocalise étendue qui semble prolonger les plus beaux mélismes grégoriens à l'infini, de manière virtuose mais intériorisée. La soprano et l'ensemble de l'orchestre font de même à la suite de l'évangéliste qui décrit avec force les événements du Golgotha sur le texte de Jean "Nul n'a de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis". Ainsi, le texte est parfaitement en rapport avec le récit du martyre des moines irlandais qui suit. Suivent encore les parties"Résurrection" et" Gloirecéleste " : pour le "Christus resurrexit a mortuis" (1 Corinthiens 20-22) , l'ancien "Christ est ressuscité" est intégré dans la composition, presque de manière subliminale comme une participation du peuple croyant.
L'hommage final aux trois apôtres des Francs, à nouveau introduit par le prologue d'entrée du narrateur, amène la séquence de Kilian dans différentes pratiques de composition, de l'unisson au chœur mixte en passant par les techniques d'organum. Avec le psaume 150 qui couronne toute l'œuvre, le compositeur fait croître l'œuvre de plus de deux heures en une apothéose d'une ampleur et d'une densité de composition indescriptibles. Une densité que l'on aurait pu supposer ou craindre tout au long de l'œuvre au vu de l'énorme dispositif d'exécution. Mais il n'en a rien été, car la plénitude et la monumentalité sont obtenues dans cet oratorio par une diversité disposée avec une merveilleuse transparence, qui doit à son tour être entièrement issue des textes tout aussi variés.
Mais ici, il fait résonner les premiers versets des psaumes du "Laudate Dominum in sanctis eius", après l'Alléluia d'ouverture, avec un mouvement instrumental impressionnant, allant des cuivres massifs aux clusters de cordes irisées, comme une sorte de ritournelle, interrompue par le chœur, les orateurs, les chœurs d'orateurs, le solo de basse, le solo de soprano et finalement l'ensemble entier, pour finalement faire résonner le "Gloria Patri" en commençant par tous, lentement, dans un diminuendo qui se rapporte à tout, jusqu'au seul chœur de garçons sur le "....in saecula saeculorum. Amen" ne s'éteint pas dans l'espace, mais résonne. Une conclusion qui dégageait une fascination qui a généré un silence de plusieurs minutes, une écoute intérieure dans la cathédrale Kilian bondée, avant que n'éclatent les applaudissements géants.
FAS
Paul Werner Scheele : L'oratorio "Der Schrein der Märtyrer" de Bertold Hummel, Würzburger katholisches Sonntagsblatt, Würzburg 18.6.1989
L'oratorio "Der Schrein der Märtyrer" partage le sens et l'objectif, la thématique et la structure avec le Kiliansschrein de Heinrich Gerhard Bücker, qui se trouve depuis 1987 dans la crypte ouest de l'église Neumünster. Les deux œuvres d'art veulent servir à la glorification de Dieu et proclamer les grandes actions qui ont eu lieu en Christ et dans les saints. Toutes deux rappellent les martyrs qui ont trouvé la mort ici il y a 1300 ans et, en même temps, les innombrables personnes qui ont subi un sort similaire avant et après eux. Enfin, tous deux proposent une aide à la réflexion et à la décision.
Morceau par morceau, l'oratorio reprend la thématique du sanctuaire en transposant sa structure dans le langage de la musique. Au début des deux grands mouvements d'angle se trouvent des mots de la "Lorica Patricks", qui faisait déjà partie de la vie quotidienne de nombreux Irlandais à l'époque des apôtres francs :
"Aujourd'hui, je me ceins d'une grande puissance
sur mon chemin vers le Créateur :
avec l'invocation de la sainte Trinité".
Ces mots sont comme un présage qui vaut pour l'ensemble de l'œuvre. Ils orientent le regard vers le Dieu trinitaire, loué par des textes tirés d'hymnes kilianistes médiévaux. Il est "mer, source, embouchure" de tout bien. Chaque partie du chœur est déterminée par différents motifs ternaires qui, chacun en soi comme en contexte, renvoient au mystère de la Trinité, comme le fait à sa manière le relief du propitiatoire.
Six mouvements s'ensuivent, chacun composé de deux moitiés se référant l'une à l'autre, une partie biblique et une partie martyre. La première est conçue en latin, la seconde en allemand. Conformément aux panneaux illustrés de la châsse, le thème s'intitule
Vocation des premiers disciples - Vocation des apôtres des Francs
Dans la tempête de la mer - En haute mer
Sermon sur la montagne - Engagement missionnaire
Prière du grand prêtre - Préparation à la mort
Croix et mort - Martyre
Résurrection - Gloire céleste
L'événement biblique est à chaque fois annoncé par l'évangéliste (baryton). Les solistes et le chœur reçoivent le message, le méditent, le remercient et le transmettent. On entend alors des textes bibliques centraux comme Ap 1,6 : "Le Seigneur a fait de nous des rois et des prêtres devant Dieu son Père", Mt 5,3 - 10 : les huit béatitudes, et Eph 4,4 - 6 : la louange tripartite chrétienne primitive de l'unité donnée par Dieu.
La partie consacrée aux martyrs débute par une courte parole chantée par Kilian (ténor). Il reprend des motifs irlandais dans lesquels sont évoquées des situations humaines fondamentales. Les questions ainsi posées trouvent une réponse dans les Passio Kiliani - des déclarations qu'un orateur énonce depuis la scène de l'orgue. Les solistes et le chœur répondent aux événements décrits et les chantent avec des mots que l'on doit en grande partie à des témoignages irlandais. Ceux-ci débouchent sur la louange que nous devons à Columban, un précurseur de saint Kilian :
"Tu es tout pour nous. Tu es notre Seigneur et notre Dieu".
Le mouvement final fait le lien, tant sur le plan formel qu'idéel, avec le début de l'oratorio. La "Lorica Patricks" retentit à nouveau, élargie maintenant à la référence aux saints :
"Je m'élève aujourd'hui
dans la prédication des apôtres,
dans la foi des confesseurs,
dans le témoignage des martyrs".
Des versets de la séquence médiévale latine de saint Cyrille suivent. Ils associent des mélodies chorales originales et des sonorités archaïques à des formes d'expression modernes. Puis le grand Alléluia est entonné, réunissant tous les participants. Tout comme le psaume 150 couronne le psautier biblique, il constitue dans l'oratorio la splendide apothéose finale. Il se termine par la doxologie. Le verset chanté au début : "Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit" résonne à nouveau ; il est maintenant complété par les mots : "Comme au commencement, ainsi maintenant et toujours et dans l'éternité. Amen".
L'évêque Paul-Werner Scheele (dans le programme de la première représentation du 14 juillet 1989)
Le 12 novembre 2000, j'ai entendu pour la deuxième fois le "Sanctuaire des martyrs", l'opus summum de mon ancien professeur Bertold Hummel, dans la cathédrale de Würzburg. La force élémentaire de cette œuvre - comparable à cet égard aux "Carmina burana" d'Orff - m'a bouleversé. Quelle grande connaissance de l'essence de la nature et de l'homme a été intégrée dans cette partition : Les sons tissants et odorants du "Printemps", la dangereuse division du duc qui souhaite que sa méchanceté soit transformée en bonté, le beau solo d'alto dans lequel Hummel s'est inspiré de la musique de J.S. Bach, les sons étranges après la reprise : un arc de 2000 ans d'expérience de la foi chrétienne est ici tendu.
Claus Kühnl (5.12.2000)
Après une longue période, j'ai réécouté l'enregistrement de la création de 'Der Schrein der Märtyrer'. Je crois que si l'on veut approcher le compositeur Bertold Hummel, il faut le faire à travers cette œuvre. Nous avons ici un sujet d'une grande actualité, qui, comme toutes les tragédies de l'humanité, peut être détaché de sa référence religieuse. Le martyre signifie se sacrifier pour une idée et se demander si cette idée ouvre de meilleures perspectives à la société humaine. Les dirigeants du Saint Empire romain germanique n'étaient naturellement pas intéressés par le christianisme naissant. Toutes les religions sont des idéologies et sont acceptées ou réprimées par les puissants. J'entends aussi dans la musique du 'Schreine' un champ de tensions qui se communique au-delà du 'religieux-cultuel'. C'est une particularité du langage musical que de pouvoir ajouter une autre dimension à l'objet donné par la matière. La diversité stylistique des moyens musicaux utilisés est tout à fait légitime et voulue par le compositeur (je pense au grégorien et à la technique de l'organum). Ce fut en tout cas une grande surprise et une grande joie pour moi que l'œuvre de ton père soit restée si vivante.
Alfred Thomas Müller (Mail à Martin Hummel, 6.7.2024)